Vote par internet : une bonne idée ?

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Le 9 novembre 2020, Loïg Chesnais-Girard publiait sur les réseaux une tribune consacrée aux modalités de vote. Intitulée “Osons tout ce qui facilite le vote, jusqu’au vote en ligne !”, celle-ci présente plusieurs propositions pour les prochaines échéances électorales : vote successif sur plusieurs jours, vote par correspondance, et surtout vote en ligne.

Cette tribune emploie tous les éléments de langages qui vont bien : innovation démocratique, adaptation, péril sanitaire notamment ; avec en conclusion un magnifique “dans le secret de son smartphone” (on y revient plus bas).

Marc le Fur, député et tête de file de l’opposition régionale, a aussitôt pris position à rebours [2], refusant “l’américanisation du vote” et arguant de la nécessité de conserver la spécificité française. Il aborde à peine la question pourtant fondamentale : le vote en ligne ne garantit pas les conditions élémentaires d’un scrutin démocratique. Pourquoi ?

Principe de sincérité, principe de confidentialité.

Le vote en ligne remet en cause deux principes nécessaires indispensables au respect de la démocratie : la sincérité et le secret du scrutin. Le secret est ce qui permet de voter en toute liberté et selon ses convictions sans risque d’interférence (menaces ou encore proposition de rémunération). La sincérité, c’est le respect de la bonne tenue du scrutin, l’absence de manipulation, de triche, qui fait que le vote reste identique de l’entrée de l’urne à l’annonce officielle des résultats et selon les règles publiquement établies.

Est-ce bien l’électeur qui vote ?

Première problématique : en cas de vote à distance, aucune assurance n’est donnée que la personne qui accomplit le vote est bien l’électeur désigné. Comme l’indique un rapport parlementaire français de 2014 [3] : “aucune garantie n’existe que la personne qui a voté depuis l’ordinateur est le bon électeur. Les éléments d’authentification (identifiant et mot de passe) peuvent avoir été mal dirigés, détournés ou monnayés.” 

La sécurité du réseau n’est pas assurée.

Depuis les affaires Wikileaks (2010) et Snowden (2013), il est de notoriété publique que les grands États et les grandes multinationales du numérique sont en mesure d’accéder à de nombreuses données sur le réseau. Il est également de notoriété publique, depuis les élections américaines de 2016, que certains États ne se privent pas d’influer sur le processus électoral chez les voisins. 

À un autre niveau, cela pose la question de la solution technique, souvent proposée par une entreprise privée qui donc a la main sur le déroulement du processus. 

Le processus oscille en permanence entre garantie de transparence et de sécurité. Par exemple, soit l’institution refuse de transmettre aux assesseurs l’accès au code source, ce qui compromet largement la capacité de vérification de ces derniers. Soit elle le diffuse, au risque de transmettre des informations exploitables pour la mise en place d’une future fraude.

Mettre en place un vote en ligne sincère implique d’être capable d’assurer à 100% la sécurité du réseau. 

Hors, cette sécurisation à 100% ne peut pas être assurée. Dans le cas d’un vote physique, l’électeur peut vérifier l’intégralité du processus : installation de l’urne transparente, vote, dépouillement puis annonce publique. En cas de vote électronique, une telle transparence est par définition impossible. Le vote individuel est transmis par voie électronique et aggloméré pour produire le résultat. Même ingénieur en informatique, même ayant pu avoir accès au code source, l’électeur lambda ne peut pas vérifier que le processus n’est pas vicié. Idem pour les assesseurs qui n’ont aucun moyen de vérifier  à 100% l’absence d’ingérence pendant le transfert de données, même dans l’hypothèse d’une coopération à 100% des institutions, qui n’est pas garantie. Rien qu’en France, aux législatives de 2012, des français de l’étranger, les assesseurs se sont vu refuser l’accès au code source. En 2014 (élections consulaires), les candidats indépendants se sont vu refuser le droit de nommer des assesseurs.

Dans le cadre d’un vote numérique, la seule manière d’assurer à 100% la sincérité serait que le vote de chaque individu soit public, et donc l’abandon du secret du vote.

Problème de sécurité… Echelle XXL.

Autre problème : l’échelle. Dans notre système actuel, les résultats sont annoncés publiquement au niveau de chaque bureau de vote. Une fraude éventuelle ne peut donc porter que sur quelques centaines ou milliers de bulletins. Pour influer un scrutin entier, il faudrait multiplier les opérations de manipulation. Avec le vote électronique géré par un système unique, une seule faille de sécurité donne lieu à l’accès à la totalité des votes.

Le système électoral français actuel a le mérite de garantir un accès physique direct au vote de bonne qualité : bureaux de vote nombreux, personnels compétents, dérogations au vote présentiel extrêmement encadrées; Malgré cela, on découvre des problèmes, comme lors des dernières municipales.

La période actuelle donne lieu à une très forte remise en cause du fonctionnement démocratique représentatif. La multiplication de théories du complot relatives aux élections américaines de cette année en donne un exemple saisissant.

Dans ce contexte, au-delà de la possibilité réelle de manipulation, le simple fait que celle-ci existe est de nature à remettre en cause la légitimité démocratique; par les temps qui courent, mieux vaut jouer la transparence à 100%.

Loïg Chesnais-Girard justifie sa tribune par la prise en compte des problématiques de santé publiques. Celles-ci sont tout à fait importantes. Le maintien de la légitimité du processus démocratique paraît cependant encore plus fondamental.

[1] https://www.facebook.com/loig.chesnaisgirard/posts/10158569691128418

[2] https://www.letelegramme.fr/dossiers/elections-regionales-2021/vote-en-ligne-chesnais-girard-et-le-fur-pas-d-accord-10-11-2020-12654790.php

[3] https://www.liberation.fr/france/2014/04/15/vote-electronique-un-rapport-parlementaire-appelle-a-la-prudence_997935

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